Selon l’équipe du Dr Maria Fiorentino, 75 % des enfants autistes présenteraient une diminution de l’expression des protéines protectrices de l’intégrité des cellules intestinales et 66 % une augmentation de celles à l’origine de la perméabilité intestinale¹. Les taux plasmatiques de zonuline s’avèrent par ailleurs bien plus élevés que dans les groupes contrôles, de même que la présence d’anticorps anti-gliadine²⁻³. La barrière hémato-encéphalique s’avère elle aussi plus perméable¹,⁴.
Une des hypothèses émises concerne des composés spécifiques, les peptides opioïdes. Ce débat scientifique a été initié il y a déjà plus de 40 ans mais demeure d’actualité, car encore peu exploré ⁵. En 1979, le Pr Christina Zioudrou a qualifié ces peptides d’exorphines en rappel aux endorphines naturellement produites par l’organisme ⁶. Il en existe de nombreux, essentiellement présents dans le lait (plus de 20 exorphines ont été identifiées) et dans le gluten (au nombre de 5), voire dans différentes protéines du blé. D’autres aliments peuvent en contenir en moindre quantité, à l’image du soja, de la viande de bœuf ou du riz⁷.
Dans des modèles expérimentaux, les exorphines réduisent la douleur, modulent le transit, la sécrétion intestinale d’hormones, la mémorisation, la locomotion ou encore l’anxiété. Plusieurs auteurs ont par ailleurs rapporté que ces peptides peuvent traverser la barrière intestinale, mais leur durée de vie dans le sang apparaît très courte⁵,⁸,⁹. Elles sont en effet rapidement dégradées par une enzyme spécifique − la DPP‐IV (prolyl- dipeptidyl-peptidase IV) ¹⁰ − soumise à un fort polymorphisme génétique et expliquant la variabilité des effets selon les individus¹¹,¹²-¹⁴. L’activité de ces exorphines varie également selon leur origine. Celles issues des épinards, des caséines de lait bovin et du gluten seraient les plus actives ⁵,¹⁴.
Pour rappel, BCM-7 est une exorphine issue essentiellement de la digestion des β-caséines A1 d’origine bovine. Une étude de 2019, menée par l’équipe du Pr Elżbieta Kostyra, a corrélé son taux avec l’enzyme DPP-IV auprès de 137 enfants, dont 86 enfants diagnostiqués autistes¹⁶. Les auteurs ont identifié chez les enfants autistes une concentration plasmatique de BCM-7 sept fois plus élevée, associée à une activité biologique de DPP-IV moindre alors que les teneurs plasmatiques se sont avérées plus importantes (une telle situation s’explique par le fait qu’une concentration élevée traduit un mécanisme réactionnel à la présence accrue de ces peptides opioïdes)¹⁶,¹⁷.
Une corrélation entre les épisodes d’apnée subits par certains nourrissons en cas de mort subite et la faible activité de cette enzyme a été mise en avant par certains auteurs¹⁰,¹⁸. BCM-7 semblerait favoriser l’altération des récepteurs opioïdes et de l’expression du gène à l’origine de la DPP-IV chez les enfants souffrant d’autisme, mais aussi de dermatite atopique¹³,¹⁹ – ²².

Sokolov et al. 2014
Les rôles de cette enzyme semblent également associés à la régulation du métabolisme immunitaire²². Une baisse de son activité a par exemple été constatée à la surface des lymphocytes T de patients souffrant de dysimmunité²³,²⁴,²⁵-²⁷. Ces cellules expriment en effet des récepteurs opioïdes spécifiques (MORs) modulant la voie Th2²⁷-³². Enfin, la substance P est un neuropeptide modulant l’activité neurologique, immunitaire, la sensibilité à la douleur, le péristaltisme intestinal, l’inflammation ou encore l’interaction sociale. Sa sécrétion semble elle aussi influencée par l’activité de la DPP-IV²².
De telles interactions permettraient d’expliquer, au moins en partie, les effets constatés des régimes d’éviction (notamment du gluten et des caséines laitières) sur l’humeur et l’immunité³³-³⁶.
Modulation de l’activité de la DPP-IV
BCM-7 ne semble pas être le seul peptide opioïde à réduire l’activité de la DPP-IV. Le peptide A5 issu de la gliadine de gluten apparaît également concerné³⁷,³⁸. Compte tenu de ses conséquences sur le transit, cette baisse d’activité pourrait expliquer l’absence de troubles digestifs, voire un transit lent, malgré la présence d’anticorps chez une partie des malades cœliaques³⁹. Par ailleurs, les personnes hypersensibles présentent des symptômes pouvant s’expliquer par le blocage de l’activité de DPP-IV et de la dégradation de la substance P via la gliadine (diarrhée, ballonnements, maux de tête, troubles de l’attention, etc.)⁴⁰-⁴².
L’histoire ne s’arrête toutefois pas là. La DPP-IV joue en effet un autre rôle particulièrement important au niveau du métabolisme insulinique. Chez la souris, l’administration d’exorphine de gluten A5 stimule la sécrétion de cette hormone⁴³. Dans des conditions physiologiques standards, les glucides favorisent la sécrétion d’autres hormones digestives permettant de potentialiser les effets de l’insuline, les incrétines. Les principales sont le GIP et le GLP (voir Chapitre 10), rapidement inactivées par la DPP-IV⁴⁴-⁴⁸. Or le peptide opioïde A5 s’oppose justement à l’activité de cette enzyme, prolongeant ainsi les effets des incrétines³⁹,⁴⁹. Pour certains auteurs, l’effet de ces peptides sur le blocage de la DPP-IV serait suffisamment important pour influencer le métabolisme du glucose de manière significative⁵⁰,⁵¹. Certains traitements médicamenteux destinés à l’accompagnement des diabétiques de type 2 sont d’ailleurs des inhibiteurs de la DPP-IV.
Un autre effet attribuable à cette baisse d’activité enzymatique est le développement d’angio-œdème, une maladie aux symptômes proches de ceux de la maladie cœliaque⁵². Il est d’ailleurs conseillé aux personnes en souffrant de réaliser un test de dépistage cœliaque⁵³. 40 % des personnes touchées par la dermatite herpétiforme induite par le gluten présentent également un angio-œdème⁵⁴. L’inhibition de la DPP-IV par le gluten pourrait ainsi expliquer, au moins en partie, la relation entre la consommation de gluten et les troubles cutanés fréquemment constatés⁵⁵.
De nombreuses maladies de la peau sont associées à un taux plasmatique plus élevé en substance P, qui pourrait s’avérer secondaire au blocage de la DPP-IV⁵⁶,⁵⁷.
Selon une méta-analyse de 13 études dont 3 essais contrôlés, il existe un lien significatif entre les troubles de l’humeur et le niveau de consommation de gluten chez les personnes se considérant hypersensibles à la gliadine⁵⁸. Pour certains auteurs, un faible taux de DDP-IV pourrait même être considéré comme un marqueur du risque de dépression d’origine inflammatoire⁵⁹. Une diminution du volume cérébral, en particulier de substance blanche, a par exemple été constatée chez les personnes souffrant de la maladie cœliaque. Une première hypothèse pour expliquer cette situation est l’existence d’une vascularite auto-immune induite par le gluten⁶⁰. Une seconde possibilité, plus récente, considère que cette perte serait liée à l’activité du système immunitaire, plus précisément du complément.
La protéine du complément C1Q est connue pour être en charge d’éliminer les complexes immuns par exemple été mesurée à des taux élevés chez des patients souffrant de maladie d’Alzheimer, d’autisme et de schizophrénie⁶¹-⁶⁴. La présence accrue de gliadine associée à une faible activité de la DPP-IV pourrait être responsable de la stimulation de l’expression de la protéine C1Q, celle-ci possédant en effet une affinité particulière pour les complexes immuns issus du gluten et de la caséine.
Des effets avant tout associés à une inflammation de bas grade
Nous pouvons donc retenir qu’il existe probablement un lien entre les peptides opioïdes, en particulier issus du gluten et des β-caséines A1 de lait de vache, l’activité de l’enzyme DPP-IV et certains troubles d’ordre immunitaire. Des essais cliniques de qualité permettraient de préciser ou de réfuter cette hypothèse, notamment au regard des critiques dont elle fait l’objet dans le milieu scientifique.
À mon sens, la problématique de fond n’est toutefois et à nouveau pas tant la gliadine, ou les caséines laitières, que la dysrégulation de la réponse immunitaire en réponse à l’environnement actuel, générant une inflammation de bas grade systémique. L’existence de cette dernière a d’ailleurs été confirmée en cas d’autisme par le Pr Alessio Fasano et plusieurs experts de ce trouble, souvent mis en avant lorsque l’on évoque le sujet du lait de vache ⁶⁵-⁷¹. L’anxiété et la dépression pourraient être, elles aussi, concernées⁷².
Ainsi, davantage que de faire la chasse à la sorcière nutritionnelle, il m’apparaît plus important de replacer la question de la tolérance aux peptides alimentaires dans une réflexion bien plus systémique, au sein de laquelle l’axe intestin-cerveau est particulièrement impliqué, y compris en cas de maladies neurodégénératives ⁷³-⁷⁵. Certains traitements inhibiteurs de l’activité de la DPP-IV sont par ailleurs capables de moduler les fonctions mitochondriales, en particulier au niveau des protéines découplantes UCP-2⁷⁶-⁷⁹. Ils contribuent de plus à réduire le développement des maladies neurodégénératives en cas de diabète, renforçant l’existence d’un lien étroit entre le métabolisme insulinique, la neuro-inflammation et les mitochondries ; nous allons le découvrir en détail dans la suite de ce livre⁸⁰,⁸¹. Il existe à ce titre très peu de données relatives aux effets spécifiques des peptides opioïdes sur les mitochondries. Au regard de ces éléments, la question mériterait pourtant d’être explorée.
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